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  • Photo du rédacteurMarianne Ducret

Harceleur ou harcelé ?


J’ai accompagné par le passé des personnes victimes de harcèlement moral au travail. Cette année, j’ai accompagné deux personnes qui, de façon surprenante, vivaient la même situation en parallèle, l'une dans le secteur privé, l'autre dans le secteur public.


Imaginez : Vous prenez un nouveau poste avec des responsabilités stimulantes. Vous êtes super motivé, décidé à faire vos preuves. Votre hiérarchie vous félicite des résultats rapides et vous encourage à poursuivre dans cette voie. Vous partagez votre enthousiasme avec vos proches, fier et énergisé par ce démarrage prometteur. 


Un beau matin, vous êtes convoqué par les Ressources Humaines, qui vous annoncent froidement que certains membres de votre équipe sont heurtés par vos méthodes de management brutales et votre attitude hautaine, et vivent dans un stress permanent depuis votre arrivée. 


L’énoncé des faits ne laisse aucun doute : vous êtes le problème. Donc à vous de changer, sinon c’est la porte. Dans sa grande mansuétude, l’organisation vous accorde quelques jours pour effectuer des transformations radicales dans votre savoir-être. Avec un accompagnement assez minimaliste.





Vous sortez de l’entretien complètement sonné. Vous avez besoin de comprendre. Comment faire le lien entre les feedbacks d’hier et ceux d’aujourd’hui ? Vous essayez d’aller voir les gens, mais les réponses sont vagues et les regards fuyants. Vous craignez vite que votre démarche soit là aussi vécue comme une forme de harcèlement. La communication devient dès lors compliquée, vous marchez sur des œufs en permanence. Comment travailler dans ces conditions ? Comment améliorer les choses dans ces conditions ? 


Alors vous vous isolez, en ressassant les mêmes questions sans réponse : Comment est-ce arrivé ? Comment n’ai-je rien vu venir ? Pourquoi moi ? Suis-je si mauvais qu'ils le disent ? 


Ces tourments impactent votre vie personnelle (moral en berne, problèmes de sommeil) et votre vie sociale : comment justifier ce revirement de situation auprès de vos proches ? Que vont-ils penser de vous ? Le sentiment de honte vous amène à éviter les personnes qui pourraient vous apporter un soutien précieux. Comment préserver son équilibre dans ces conditions ? 


Et c’est frappant de voir à quel point ces deux personnes qui sont arrivées en coaching parce qu’elles étaient plus ou moins accusées de harcèlement m’ont fait penser pendant des mois aux personnes qui étaient venues en coaching parce qu’elles étaient victimes de harcèlement. 


Mon propos n’est pas de décréter que tous les harceleurs sont des victimes, et je me réjouis que les entreprises soient plus réactives pour traiter les cas de harcèlement. Mais dans ce souci de protection des plus vulnérables, l’approche manichéenne qui est parfois adoptée peut créer d’autres dégâts. Avec quelles conséquences pour les personnes ? Et pour les organisations ? 


  1. Les conséquences pour l’organisation : 


L’enjeu de l’organisation est de rassurer le système en montrant sa réactivité pour mettre le coupable hors d’état de nuire. 


Mais dans les cas relatés ici, est-ce que les managers ne vont pas aussi retenir que personne n’est à l’abri de passer du côté obscur du jour au lendemain, avec peu de place pour le bénéfice du doute et le droit à l’erreur ? Peu rassurant finalement. 


Par ailleurs, le coupable est rarement unique. On comprend la tentation pour l‘entreprise d’identifier un bouc émissaire, cela permet au système d’éviter de se remettre en question. Mais dans les faits, les responsabilités sont multiples et cette situation illustre des dysfonctionnements fréquents en entreprise :

 

  • Des problèmes de communication : Pourquoi n’y a-t-il eu aucun signal d’alerte ? Pourquoi n’y a-t-il eu que des feedbacks positifs ? 

  • Des injonctions contradictoires souvent adressées aux managers : “On veut des résultats rapides, mais pas de vagues avec les équipes” 

  • Un décalage ironique entre ce qui est prôné et ce qui est fait : “On ne peut pas se permettre d’avoir des managers qui ne respectent pas nos valeurs de bienveillance et de communication constructive”. Ces valeurs sont-elles vraiment incarnées pendant cet entretien RH ? 

  • Par ailleurs, ces valeurs de management fondamentales avaient-elles été explorées en entretien d’embauche ? Mes deux clients avaient appris le management en s’inspirant de leurs précédents managers, sans jamais être formés. Ça n’avait visiblement gêné personne. 

  • On veut responsabiliser les personnes tout en les infantilisant : A vous de rectifier le tir, sans vous en donner vraiment les moyens, ni vous donner la parole pendant cet entretien. 


2. Les conséquences pour les personnes qui se sont plaintes : 


Dans un 1er temps, ces personnes sont vraisemblablement satisfaites d’avoir été entendues et d’observer un changement d’attitude chez leur manager. 

Ceci dit, le problème est-il résolu ? 


  • Si ces personnes ont développé une réelle souffrance en quelques semaines face à ce nouveau manager, on peut se demander si la vulnérabilité n’était pas préexistante. Le fait que ces personnes n’aient à aucun moment communiqué leur inconfort à leur manager, puis n’aient pas eu l’opportunité d’explorer l’origine de leur trouble ou de contribuer à l’amélioration des choses (via une médiation, par exemple) les maintient dans un rôle de victimes peu aptes à se protéger par elles-mêmes. Cela risque d’entretenir leur sentiment de vulnérabilité et la situation a des chances de se reproduire. 


  • Si ces personnes ont voulu résister au changement représenté par le nouveau manager, par peur de perdre certains avantages ou juste de devoir faire autrement, la tournure des événements les a confortées dans l’idée qu’il n’y a pas besoin de changer. Que se passera-t-il quand une nouvelle opportunité de changement se présentera ? 


  • Si ces personnes avaient des enjeux politiques et se sont liguées pour faire tomber le nouveau manager, elles ont prouvé leur influence au reste de l’organisation. 

 

3. Les conséquences pour la personne mise en cause : 

 

L’annonce est un choc dans le fond comme dans la forme. Elle génère une profonde remise en question, tout en gênant la prise de recul et la compréhension. 


L’accompagnement s’est effectué sur deux axes complémentaires, de façon similaire au travail réalisé avec les personnes victimes de harcèlement : 

  1. Relativiser la situation, percevoir sa dimension systémique, pour prendre les choses moins personnellement, apaiser les questionnements existentiels et restaurer une bonne image de soi. 

  2. Assumer sa part de responsabilité, pour sortir de la posture de victime, engager un processus de réparation si besoin, identifier ses axes de progrès et se sentir équipé pour rebondir. 


Ces deux personnes ont fait le travail pour se remettre en selle et reprendre confiance dans leur posture professionnelle, tout en renforçant leurs compétences managériales. Mais elles ont toutes les deux quitté leur entreprise. La relation était trop abimée. Elles auraient eu besoin de plus de soutien et de considération pour mieux vivre cette situation. 


Elles ont aussi appris de l’expérience et décidé d’aborder leur prochain poste un peu différemment, en prenant le temps d’observer leur environnement, pour en comprendre les codes et installer des relations constructives. 


Comme quoi, les individus ont une capacité de remise en question et d’adaptation incroyable, dont les organisations devraient s’inspirer davantage. 

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